Aurochs : le retour annoncé du bovin disparu !
Officiellement disparu en 1627 lorsque le dernier individu fut tué dans la forêt dans la forêt de Jaktorow, en Pologne, l’aurochs (Bos primigenius) joue depuis les phénix.
En Allemagne, durant les années 1920 et 1930, les frères Lutz et Heinz Heck entreprirent de recréer l’espèce. Heinz (1894 –1982), alors directeur du zoo de Munich, et Lutz (1892- 1983), à la tête du zoo de Berlin, croisent alors des races domestiques dites rustiques, supposées plus proches de l'aurochs. Ils sélectionnent les animaux ressemblant le plus à l’aurochs originel, l’idée sous-jacente étant que l’apparence constitue un bon indicateur de la proximité génétique.
Mâle aurochs-reconstitué au parc du Thot, en Dordogne. En 1997, l'aurochs de Heck a été accepté au catalogue des races bovines françaises sous l'appellation officielle d'aurochs-reconstitué (Photo Philippe Aquilon).
L’aurochs des Heck ou aurochs-reconstitué est aujourd’hui encore l’objet de (vives) controverses éthiques et scientifiques. Les relations étroites des deux frères avec le régime hitlérien sont avérées, même si leur souhait de reconstituer l’aurochs ne semble pas relever, au départ, d’un « projet nazi ». Vouloir reconstituer cette espèce disparue était illusoire et la méthodologie employée contestable. Les divergences phénotypiques entre les animaux des Heck et l’aurochs sauvages ont notamment été minimisées, voire occultées par les intéressés.
Près de 450 aurochs-reconstitués sont élevés à l'heure actuelle en France, dans 22 départements, au sein de parcs animaliers (ici un jeune mâle du Thot) ou chez une dizaine d'éleveurs, selon Claude Guintard, président national des éleveurs d'aurochs-reconstitués et enseignant à l'école vétérinaire de Nantes (Photo Philippe Aquilon).
Dans le même temps, les frères Heck mèneront d’ailleurs un second projet de « reconstitution », celui du tarpan (Equus ferus), équidé sauvage européen dont le dernier spécimen connu s’était éteint en 1887 au zoo d’Hellabrunn à Munich. Le premier tarpan « reconstitué » naquit le 22 mai 1933 dans le parc animalier bavarois. Des « chevaux de Heck » existent encore aujourd'hui.
Cocktail de races « rustiques »
Mais revenons à nos aurochs. Au cours de leurs recherches, les frères Heck ont donc utilisé différentes races domestiques. Tous deux ont ainsi eu recours au bœuf gris de Hongrie, au gris ukrainien, au highland écossais, à la murnau-werdenfels, à l’ancienne allemande brune,à l'Angeln rotvieh (appartenant au rameau de races rouge de la Baltique), à la fleckvieh, à un ancien type de pie rouge des montagnes et à la corse. Au zoo de Berlin,Lutz Heck a également employé le taureau de Camargue, le toro Bravo espagnol, différentes races brunes dont la montafoner (ancêtre de la brune autrichienne), la white park anglaise et, peut-être, la suédoise des montagnes.
Bœuf gris de Hongrie au parc animalier de Gramat (Lot). Cette race est originaire de la steppe hongroise ou Puszta (Photo Philippe Aquilon).
Concernant l’aurochs-reconstitué (appelé par les Anglo-Saxons « Heck cattle »), les résultats obtenus ont été mitigés. Ces animaux s’adaptent facilement à la vie en semi-liberté, sans intervention humaine, et résistent bien aux conditions climatiques difficiles. L'élevage de l’aurochs-reconstitué s’est d’ailleurs développé dans les années 1970 avec l'utilisation de bovins rustiques pour l'entretien de zones sauvages et de friches. La première introduction d’aurochs de Heck dans la nature a eu lieu en 1983 dans la réserve d’Oostvaardersplassen aux Pays-Bas.
Une copie pas vraiment conforme
Toutefois, la taille de l’aurochs de Heck demeure inférieure à celle de l’aurochs originel. Ses cornes s’avèrent plus petites avec une orientation ne correspondant pas toujours à celles de l’aurochs sauvage et son pelage reste souvent plus clair. Selon des études récentes, l’aurochs aurait mesuré entre 160 et 180 cm au garrot pour les mâles et environ 150 cm pour les femelles. Certains spécialistes sont toutefois partisans d’une taille plus élevée, culminant à 2 m. La masse des mâles, plus gros que les femelles, avoisinait les 800 à 1000 kg. En forme de lyre, les cornes présentaient une inclinaison de 60°. Hors étui kératinisé, elles atteignaient en moyenne 62 cm pour les mâles (avec des extrêmes de 120 cm) contre 42 cm pour les femelles (avec des records jusqu’à 70 cm). La silhouette de ces bovins était caractérisée par un dos droit et des pattes plus hautes que les actuelles races domestiques. Le pelage des mâles était brun foncé à noir avec une raie plus pâle sur l’épine dorsale. Femelles et jeunes présentaient une teinte roussâtre, sans raie dorsale.
Femelle aurochs-reconstitué au parc animalier du Thot, dans la vallée de la Vézère, à une dizaine de kilomètres de la commune de Montignac et de la grotte de Lascaux (Photo Philippe Aquilon).
Voici une dizaine d’années, des éleveurs allemands ont introduit de nouvelles variétés bovines domestiques, aux cornes et à la taille plus imposantes, au sein de groupes reproducteurs d'aurochs de Heck. Parmi les races utilisées figurent la chianina italienne, pour sa hauteur, et la sayaguesa (ou zamorana) espagnole. Particulièrement menacée avec une population limitée à quelques centaines d’animaux, cette dernière a été retenue pour sa taille mais aussi pour la forme de ses cornes et la couleur de sa robe. Certains produits de ces croisements ressemblent assez à feu l'aurochs sauvage.
L'aurochs de Heck actuel regroupe donc une majorité d'animaux dont les caractéristiques génétiques sont fixées depuis les frères Heck, et une petite minorité de bovins dont les caractéristiques évoluent pour se rapprocher du phénotype (apparence) sauvage.
Après l'aurochs-reconstitué, place au tauros
Initiée voici quatre ans par quelques écologistes néerlandais, la fondation TaurOs envisage à son tour de créer un nouveau bovin aussi proche que possible de l’aurochs sauvage. Comme le souligne Henri Kerkdijk interrogé par Le Monde, « nous ne parviendrons jamais à obtenir exactement la bête d'origine. Mais nous espérons créer après quatre générations un nouvel animal, le tauros, qui en sera très proche à tous égards, et se révélera, comme lui, capable de vivre à l'état sauvage. »Un avis partagé par Alexandre Reymond, professeur associé au Centre intégratif de génomique de l'université de Lausanne. « Il est tout à fait envisageable de créer de cette façon un bovidé de type nouveau, assez rustique pour s’adapter à la vie sauvage » renchérit M. Reymond dans les colonnes du Monde.
La highland peuvant consommer une grande variété de végétaux de type arbustifs, cette race est considérée comme une excellente débroussailleuse. En France, elle est utilisée à cette fin notamment sur les rives du Rhône, dans les Vosges du Nord, en Moselle ou encore en Ille-et-Vilaine (Photo Philippe Aquilon).
Cela est pourtant déjà le cas de l’aurochs-reconstitué et d’autres races comme le bœuf d’Écosse voire, en France, le betizù (la vache sauvage du Pays basque), la massanaise, la nantaise, la maraîchine ou encore la marine landaise, menacée d’extinction. Est-il pertinent de créer une race qui ne sera jamais qu’une copie d’aurochs alors que d’autres, bien adaptées à des milieux spécifiques, risquent fort de disparaître ? La question, je crois, mérite d’être posée.
Épée de Damoclès génétique
La méthode utilisée par le projet TaurOs marie approche classique par des croisements entre races bovines se rapprochant de l’aurochs (comme la maremmana et la pajuna) avec sélection des veaux les plus proches du phénotype, et recours à la génétique, la biologie molécultaire ou l'archéozoologie.
Taureau maremmana, race italienne originaire d'une région marécageuse de Toscane, et bovins de race highland.
Quelque cinquante animaux correspondant aux critères recherchés sont actuellement élevés près de Keent, dans le nord-est du Brabant-Septentrional, aux Pays-Bas. D’ici 2025, échéance envisagée pour la fixation de la nouvelle race, les bovins seront peu à peu acclimatés à la vie sauvage sur des étendues toujours plus vastes. La fondation hollandaise espère que des troupeaux brouteront alors dans au minimum cinq zones protégées en Europe.
Un veau issu du croiement entre maremmama et pajuna.
Quant à l'inévitable question de la consanguinité du cheptel, « le risque existe mais il n'est pas sûr qu'il se concrétisera » relève Alexandre Reymond (Le Monde du 1er novembre). « Tout dépend du bagage génétique, délétère ou non, des premiers de lignée. »
Rappelons ici que 54 d’Europe des plaines (Bison bonasus bonasus) survivaient seulement à la fin des années 1920 dans quelques parcs zoologiques du Vieux continent. Sur ces 29 mâles et 24 femelles, seuls 13 se sont reproduits et l’actuelle population descendrait d’uniquement 7 animaux ! Cette variabilité génétique très faible serait à l’origine d’anomalies dans la population actuelle.
L'une des représentations d'aurochs dessinées sur les parois de la grotte de Lascaux (Dordogne), dans la salle dite des taureaux, voici sans doute 17.000 ans.
Une chose est certaine : l’aurochs fascine toujours ! Chassé par les Néanderthaliens voici près de 125 .000 ans comme l’atteste la découverte du site de Caours (Somme), sujet privilégié de l’art pariétal du Paléolithique supérieur comme à Lascaux ou Font-de-Gaume (Dordogne), l’aurochs, éteint depuis presque quatre siècles, hante toujours notre imaginaire.
Sources : Le Monde, Le Temps, Wikipédia.
En 1979, le Zoorama européen de Chizé à Villiers-en-Bois (Deux-Sèvres) a été le premier établissement zoologique français à héberger un aurochs-reconstitué. Rebaptisé Zoodysée en 2004, il héberge toujours cet animal. D'autres établissements présentent également des aurochs-reconstitués, comme les parcs animaliers de Gramat (Lot), du Thot (Dordogne) ou l'Espace Rambouillet (Yvelines).