Les derniers rhinocéros : l’ultime combat de Lawrence Anthony
Voici deux ans jour pour jour, le 2 mars 2012, Lawrence Anthony s’éteignait à 61 ans en Afrique du Sud, victime d’une crise cardiaque peu avant la publication de son dernier ouvrage, Les derniers rhinocéros. Le créateur de la réserve de Thula Thula, sauveur du zoo de Bagdad et fondateur de l’association de protection de l’environnement The Earth Organization en 2003, entendait profiter de la sortie de son livre pour alerter l’opinion publique internationale sur le sort des derniers rhinocéros africains. Prêt et prompt à affronter tous les dangers pour protéger la faune sauvage, l’homme qui murmurait à l’oreille des éléphants avait pris conscience de l’ampleur du massacre et des moyens dont disposaient déjà les braconniers, hommes de main suréquipés au service de mafias aux ramifications internationales.
Ses derniers propos auront malheureusement été visionnaires. En 2013, plus de mille rhinocéros -1 004 très précisément- ont été braconnés dans la seule Afrique du Sud, soit près de 50% de plus que l'année précédente (668 en 2012, 448 en 2011 et 333 en 2010 selon le ministère sud-africain de l'Environnement). Aujourd’hui, leur corne se négocie à plus de 16 500 € le kilo sur le marché noir. Un trafic aux enjeux colossaux destiné essentiellement à approvisionner la clientèle asiatique.
Des rhinos au cœur de la guerre
Le dernier livre de Lawrence Anthony relate son combat acharné pour sauver de l’extinction le rhinocéros blanc du Nord (Ceratotherium simum cottoni), l’autre sous-espèce de rhinocéros blanc avec celui dit du Sud (Ceratotherium simum simum).
Alerté en 2006 par une amie journaliste, le « conservationniste » décide de tout tenter pour sauver la poignée de spécimens survivant alors à l’état sauvage dans le parc national de la Garamba, au nord-est de la République démocratique du Congo, près de la frontière du Soudan du Sud. Mais la région est alors en partie occupée par les troupes de l’Armée révolutionnaire du Seigneur, en rébellion contre le gouvernement ougandais de Yoweri Museveni. Tristement célèbre pour ses enfants-soldats, l’ARS figure depuis 2001 sur la liste des organisations terroristes édictée par les États-Unis.
Parrain pour la paix d’une armée terroriste
Lawrence Anthony sera confronté à la complexité d’une situation politique souvent appréhendée de façon caricaturale en Occident et à l’incompétence de bureaucrates surtout soucieux de sauvegarder leurs prés carrés, confondant protection de la nature et chasses gardées. Malgré les risques pour sa propre vie, il ira jusqu’à devenir le parrain pour la paix de l’ARS, obtenant des accords protégeant populations civiles et animaux. Mais n’est-il pas déjà trop tard pour le rhinocéros blanc du Nord ?
Angalifu, l’un des deux spécimens de rhinocéros blancs du Nord hébergés au San Diego Zoo Safari Park (États-Unis). Né à l’état sauvage en 1974, ce mâle a été confié au parc californien en 1990 par le zoo de Khartoum au Soudan (photo Sheep81).
Pour autant, jamais Lawrence Anthony n’oublie ni ne délaisse ses protégés de Thula Thula comme Nana, l’éléphante devenue borgne, Heidi, la femelle rhinocéros se prenant pour un gnou ou Gabusa, un éléphant mâle dont l’arrivée réservera quelques émotions fortes au maître des lieux. Pourtant ici aussi, au cœur du Zoulouland, les braconniers sévissent. Arme au poing, Lawrence Anthony comprend qu’une nouvelle guerre est en train de naître…
Récit d’aventures, ode à la gloire de l’Afrique, plaidoyer pour la protection de l’environnement et de la faune dans le respect des populations locales, Les derniers rhinocéros s’adresse autant au cœur qu’à la raison. Et savoir qu’aujourd’hui, seuls quatre rhinocéros blancs du Nord, transférés au Kenya en décembre 2009 depuis le zoo tchèque de Dvůr Králové, survivraient sur le sol africain n’ôte rien à son intérêt. Tout au contraire…
ANTHONY Lawrence, SPENCE Graham, Les derniers rhinocéros, Les Trois Génies, 2012, 372 p.
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