Flocon de Neige, l’unique gorille albinos, s’est éteint voici 10 ans
Il y a dix ans jour pour jour, le lundi 24 novembre 2003, Flocon de neige, l’unique gorille albinos connu à ce jour, s’est éteint au zoo de Barcelone (Espagne). Souffrant d’une forme rare de cancer de la peau diagnostiqué en 2001 et pour lequel il avait été opéré à trois reprises, Flocon de neige a finalement été euthanasié afin que ses souffrances soient abrégées. Selon certains soigneurs du zoo de la capitale catalane, le gorille, auquel des analgésiques étaient administrés, avait perdu tout désir de jouer avec les membres de sa famille et préférait rester seul, hors de la vue du public.
Maladie génétique
La maladie dont était atteint le célèbre gorille résultait vraisemblablement de son albinisme oculo-cutané (AOC) de type 1A. L’état de Flocon de neige avait été révélé au public en septembre 2003. Des milliers de visiteurs étaient venus lui rendre un dernier hommage au cours des semaines suivantes.
L’albinisme de Copito de Nieve était comparable à celui le plus fréquemment rencontré chez l’être humain. L’AOC de type 1A est lié à une activité nulle de la tyrosinase. Les personnes atteintes naissent avec les cheveux et la peau blancs et les yeux bleus. Ces caractéristiques persistent toute la vie durant. La peau ne bronze pas et s’avère très sensible au soleil. Il ne se produit aucune synthèse de mélanine. Les sujets présentent parfois certaines anomalies oculaires comme le nystagmus, mouvement d'oscillation involontaire et saccadé du globe oculaire. Flocon de Neige souffrait ainsi de photophobie, c’est-à-dire d’une crainte de la lumière.
Le gorille maigrit
Hormis un épisode de varicelle dans sa prime jeunesse, Flocon de Neige ne connaît aucun souci majeur de santé avant de franchir le cap de la trentaine. En 1996, les vétérinaires détectent des problèmes de peau avec un rougissement cutané et des ulcères sur diverses parties du corps. Un bilan de santé complet révèle un érythème provoqué par le soleil. L’état général du gorille s’avère toutefois rassurant.
En janvier 1999, Flocon de Neige a perdu 20 % de sa masse. Il subit un check-up très poussé, de l'échographie des reins, du foie et de la thyroïde à une radio de la cage thoracique en passant par une palpation générale. Aucune affection particulière n’est décelée. Le gorille mâle souffre en fait de cachexie sénile, le vieillissement entraînant une perte progressive de la masse corporelle. Son alimentaire est donc revue à l’aune du diagnostic avec l’apport de compléments nutritionnels.
Interventions chirurgicales
En septembre 2001, le gorille est opéré d’un ulcère mesurant environ 3,5 cm de diamètre sur le sein droit. Les analyses font apparaître un carcinome épidermoïde indifférencié, une tumeur maligne associée à un type de cancer de la peau se développant habituellement sur les couches supérieures de l'épiderme et apparaissant souvent dans des zones exposées au soleil. Flocon de Neige souffre aussi d’une cataracte. En mai 2002, les chirurgiens retirent le carcinome de son sein droit et opèrent sa cataracte de l'œil droit, son œil gauche étant opéré en 2003.
En novembre 2002, les chirurgiens ôtent une nouvelle tumeur de son aisselle et constatent que le cancer s’est propagé. L’équipe du zoo catalan décide que Flocon de Neige ne subira plus d’autres interventions. Afin de préserver sa qualité de vie, le singe reçoit un traitement composé d’antibiotiques, d’antidépresseurs et d’un produit destiné à ralentir l’invasion de la tumeur.
Après sa mort, Flocon de Neige est incinéré et ses cendres disposées dans le prototype d’une urne conçue uniquement avec des matériaux biodégradables (écorce de noix de coco et cellulose). En outre, cette urne baptisée Bios contient de la tourbe et une graine d'arbre. Les cendres de Flocon de Neige ont été enterrées le 23 avril 2004 avec une graine de marronnier du Cap.
Famille massacrée
L’histoire de Flocon de Neige débute le 1er octobre 1966 lorsque plusieurs propriétaires terriens abattent un groupe de gorilles. Ceux-ci se nourrissaient dans des plantations de bananiers et de caféiers dans la forêt de Nko, près de la ville de Rio Campo (province de Rio Muni), à l’extrémité nord-ouest de la Guinée équatoriale, à l’époque Guinée espagnole. Parmi les dépouilles, les paysans fangs découvrent un bébé gorille entièrement blanc accroché au cadavre de sa mère. L’un des chasseurs, Benito Manié, ramène l’animal chez lui avec l’intention de le vendre. Il baptise le bébé Nfumu Ngui -gorille blanc en dialecte fang.
Quatre jours plus tard, Benito Manié part avec le bébé pour la cité portuaire de Bata où il vend le petit gorille à Jordi Sabater Pi (1922-2009), alors responsable du centre d’expérimentation zoologique d’Ikunde, dépendant de la Ville de Barcelone. Selon les sources, le montant de la transaction varie de 10.500 à 15.000 pesetas.
La Une du National Geographic
Le petit gorille, qui a toutes ses dents de lait, pèse 8,75 kg. Son âge est estimé entre deux et trois ans. Il séjourne durant un mois au centre d’Ikunde afin de s’adapter à la captivité et au contact avec les humains. Mais, déjà, la nouvelle de sa découverte a franchi l’Atlantique. Ayant baptisé son protégé Floquet de Neu -Flocon de Neige en catalan, le professeur Sabater informe de sa trouvaille Arthur J. Riopelle (1920 - 2012), directeur du centre de recherches Primat Delta à l'Université Tulane de la Nouvelle Orléans (États-Unis). L’éthologue espagnol participe en effet aux études de terrain menées par le professeur Riopelle sur les gorilles de la région du Rio Muni. De son côté, Arthur Riopelle transmet l’information à la National Geographic Society, laquelle finance ses recherches sur les gorilles… L’organisation scientifique dépêche alors à Ikunde le professeur Riopelle et le biologiste et journaliste Paul A. Zahl (1910–1985) dans l’optique d’un reportage pour le National Geographic Magazine. Publié en mars 1967, l’article rendra Floquet de Neu célèbre dans le monde entier.
Entre-temps, le jeune anthropoïde a été envoyé au zoo de Barcelone où il est arrivé le 1er novembre 1966. Une cérémonie officielle en présence de la presse et du maire est organisée le mois suivant.
Lors de la découverte du petit gorille blanc, unique en son genre, seuls trois autres primates albinos auraient été précédemment observés : un mâle capucin au Venezuela, une femelle singe-araignée dans un parc animalier colombien et une femelle macaque rhésus au zoo de la Nouvelle-Orléans (États-Unis). Des cas de gorilles présentant des tâches blanches avaient déjà été relevés mais ce phénomène était sans doute provoqué par une absence de pigmentation de la peau.
Élevé comme un enfant
Durant les 11 mois suivant son transfert en Espagne, Flocon de neige vit dans l’appartement du Dr Román Luera, dans le quartier d’Eixample à Barcelone. Maria, l’épouse du vétérinaire du zoo, a pris l’habitude d’élever certains bébés primates du parc, notamment les jeunes chimpanzés et gorilles, ce qui lui vaut le surnom de Mama Gorilla. Dans les années 1960, les jeunes anthropoïdes nés en captivité sont fréquemment élevés à la main (voir l’article sur les cent ans de l’ancien directeur du zoo de Bâle http://biofaune.canalblog.com/archives/2013/10/27/28300598.html). Flocon de Neige part ainsi en vacances avec la famille Luera dans le massif du Montseny et sur l’île de Minorque, dans l’archipel des Baléares.
Mâle dominant et reproducteur
Pour autant, Flocon de Neige est mis en contact dès sa jeunesse avec d’autres gorilles. Baptisé Muni, un autre mâle arrivé au zoo de Barcelone à la même époque devient notamment son compagnon de jeu. Puis Flocon de Neige partage son enclos avec une femelle, Ndengue, laquelle restera toujours sa préférée. Après deux ans de vie commune, le couple rejoint un groupe composé de deux autres femelles et d’un mâle. Flocon de Neige s’imposera comme le dominant.
Entre 1973 et 1986, le gorille albinos devient père à vingt-et-une reprises avec trois femelles différentes. Ndengue donne le jour à sept petits, Bimvili à neuf (dont des jumeaux en 1981) et Yuma à cinq. Seuls cinq d’entre eux survivent : un mâle, Bindung, transféré au zoo japonais de Fukuoka, et quatre femelles : Ntao, Kena, Machinda et Virunga. La star du zoo de Barcelone a également eu 21 petits-enfants. Aucun de ses descendants n’est albinos même si tous ses petits sont porteurs de l’allèle récessif responsable de l’albinisme. Il semble peu probable qu’un nouveau spécimen blanc apparaisse un jour dans la lignée de Flocon de Neige.
Fruit d’une union consanguine
À ce sujet, une récente étude a éclairé d’un jour nouveau le cas de Floquet de Neu. Dans une étude publiée le 31 mai 2013 dans la revue BMC Genomics, des chercheurs espagnols de l'Institut de biologie évolutive de l'université Pompeu Fabra à Barcelone, ont réalisé le séquençage du génome du primate albinos à l’aide d’échantillons sanguins congelés et prélevés sur le gorille avant sa mort.
Fondés sur la comparaison du génome de Snowflake avec ceux d’humains et de gorilles non albinos, leurs travaux ont permis d’isoler le gène responsable de l’albinisme de Flocon de Neige, baptisé SLC45A2.
L’équipe dirigée par Tomas Marques-Bonet a également scruté l'ensemble du matériel génétique du gorille. Surprise : les résultats révèlent 12% de gènes communs entre la mère et le père du petit gorille découvert en 1966, dont le coefficient de consanguinité est de 0,118. L’hypothèse la plus probable serait donc celle d’un accouplement entre un oncle et sa nièce ou entre une tante et son neveu.
Gorilles à l’étroit
Selon M. Marques-Bonet, aucun autre cas de consanguinité n’a été identifié chez des gorilles sauvages des plaines de l’ouest (Gorilla gorilla gorilla). Parmi les causes possibles, le scientifique espagnol avance la réduction et la fragmentation de l’habitat des gorilles, éprouvant des difficultés toujours plus grandes à se disperser au-delà de leur groupe originel. La question préoccupe d’ailleurs les scientifiques œuvrant à la sauvegarde des autres (sous-) espèces de gorilles et notamment du rarissime gorillede la rivière Cross (Gorilla gorilla diehli).
Sous-espèce du gorille de l’ouest (Gorilla gorilla), le gorille des plaines occidentales est classé en danger critique d’extinction par l’UICN (Union internationale de conservation de la nature). Cette sous-espèce demeure la plus nombreuse mais le nombre d’individus reste difficile à estimer, notamment après l’épidémie d’Ebola ayant touché cette population. Auparavant, celle-ci se situait dans une fourchette comprise entre 94.500 et 110.000 individus.
L’IUCN considère l’évolution de la population des gorilles des plaines occidentales comme étant à la baisse avec, pour principale menace, la perte de leur habitat. Un sujet tristement d’actualité depuis des décennies déjà.
Sources : Zoo de Barcelone, Le Monde, BMC Genomics, Wikipédia.